Variation sur Don Juan et Peer Gynt
« As-tu jamais compris, Solveig, que de quelque nom que je lui donne, ce n’est pas à travers le monde que ton amant poursuivait ses folles rêveries, mais à travers toi ? Ou plutôt, à travers ce monde de toi ?
Comprendras-tu jamais que dans les multiples contrées qu’il a visitées, dans les multiples femmes qu’il a aimées, séduites, enlevées, trahies et délaissées, c’était toi qu’il cherchait, qu’il fuyait parfois comme un remord, parce que tu étais sa conscience, mais dont il ne pouvait s’éloigner sans éprouver dans son être une brisure, parce que tu étais sa vie ? Ne sais-tu pas que lorsqu’il parcourait tous les lieux où tu n’étais pas, ce n’était pas tant pour profiter de la nouveauté d’un hypothétique bonheur que pour rechercher ton absence, car respirer ton absence, ce silence de toi, c’est encore te respirer, Solveig, et ne sais-tu pas que celui qui t’aime, quel qu’il soit, sorti d’un opéra de Mozart ou d’une pièce d’Ibsen, ce n’est pas le bonheur qu’il recherche, le bonheur il n’en a cure figure-toi, il l’a trouvé mille fois le bonheur, dans les bras d’une Ingrid ou d’une Zerline, peu importe, mais s’il les quitte ces femmes, la foule de ces femmes, c’est parce que la souffrance de t’aimer il la préfère au bonheur, mille fois, mille et trois fois même, mille e tre, demande un peu à Leporello, puisqu’il te faut des preuves, tu vois que je te connais, qu’il te faut toujours des preuves… »
Extrait de « Miroirs », nouvelle